Protocole de coopération en échographie cardiaque

M. Wielgus, IDE, Service de cardiologie, Hôpital PitIé-Salpêtrière, Paris, mars 2022

 

 

 

Les besoins croissants en matière de prise en charge sanitaire liés au vieillissement de la population, au développement des maladies chroniques ainsi qu'une répartition inégale et une évolution défavorable de la démographie médicale mettent en lumière la nécessité de développer des coopérations entre professionnels de santé. Ce constat avait déjà été mis en avant en 2002 avec les rapports du Pr Berland qui pointaient la nécessité de développer ce type de coopération. Devant ce constat, l’objectif principal est de pouvoir libérer du temps médical pour des missions qui ne peuvent être déléguées (examens compliqués notamment). Il s’agit en même temps de valoriser l’exercice infirmier et permettre d’atteindre un nouveau niveau d’expertise.

L’OCDE, en 2009 rappelle le rôle pivot indispensable joué par les infirmiers, en collaboration avec les médecins pour l’efficience des systèmes de soins, aujourd’hui en recherche de productivité. La découverte de nouvelles pathologies exige plus de soins et de prises en charge variées à réaliser, tout en gardant la même exigence en terme de qualité et de sécurité.

Les examens complémentaires les plus pratiqués en France sont les bilans optiques et les examens d'imagerie : échographie, doppler, radiographie.

L'échographie cardiaque est devenue un examen complémentaire indispensable à la prise en charge du patient en cardiologie quelle que soit la pathologie cardiaque, mais aussi pour d'autres spécialités comme les maladies infectieuses, la médecine interne, la rhumatologie, etc... Et la demande d’échocardiographies augmente de manière exponentielle.

 En France la réalisation des examens d'échographie est entièrement de la compétence des médecins radiologues, des cardiologues dans le cas des échographies cardiaques, depuis le geste technique d'exploration jusqu'au compte rendu d'examen.

A l’étranger il existe un transfert de compétences aux États-Unis et au Canada depuis les années 1960 dans un contexte de rationalisation du système de soins. Ainsi sont apparues les infirmières praticiennes (nurse practioners). Aux États-Unis la recherche du gain de productivité a accéléré le processus. Au Royaume Uni des expériences similaires ont vu le jour principalement dans l’objectif d’améliorer l’accès aux soins dans un contexte de saturation des médecins généralistes.

La pratique de l’échocardiographie par les infirmièr(e)s rentre dans le cadre des protocoles de coopération. Le premier protocole concernant l'échographie cardiaque à avoir été autorisé par l'agence régionale de Santé est celui du CHU de Rouen en 2011.

Le protocole de coopération en échographie cardiaque se définit d'après le nouvel arrêté en date du 1er mars 2021 comme suit :

« Enregistrement et pré interprétation en vue du dépistage de l’échographie anormale, des paramètres écho cardiographiques Trans-Thoraciques (ETT) par une infirmière diplômée d’Etat (IDE) en lieu et place d’un médecin cardiologue avant interprétation médicale définitive »

Il s’agit de la réalisation d’une échographie cardiaque par un(e) infirmièr(e) sous supervision d’un médecin référent.

Ce protocole s’inscrit dans le cadre de la loi HPST du 21 juillet 2009

« Les professionnels de santé peuvent s’engager dans une démarche de coopération, sous forme de protocoles (validés par les ARS) ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leurs modes d’intervention ’intervention auprès du patient auprès du patient »

Art. L. 4011-1 du CSP – Par dérogation, les professionnels de santé (inscrits à l’article L. 4011-1 du code de la Santé Publique) peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux : des transferts d’activités ; ou d’actes de soins ; ou de réorganiser leur mode d’intervention auprès du patient. »

 

Conditions requises pour adhérer au protocole de coopération en échocardiographie:

 

1/ L’accès au DIU d’échocardiographie demande 5 ans minimum d’ancienneté en cardiologie.

2/ Cette formation se déroule sur la base de la 1ère année du DIU uniquement; la 2ème année étant dédiée à la formation aux échographies trans-oesophagiennes, aux échographies de stress et pédiatriques.

3/L’accès au DIU n’étant pas de droit ouvert aux paramédicaux, l’accès aux paramédicaux se fait dans un 1er temps sur proposition du cadre supérieur, cadre de proximité et d'un responsable médical du département d’échocardiographie, sur dossier avec CV, lettre de motivation et avec accord d’un terrain de stage.

4/ L'IDE s’engage envers l’institution et son tuteur cardiologue

5/ La formation théorique est organisée en 4 axes :

  • Etude anatomie cardiovasculaire
  • Etude physiologie cardiovasculaire
  • Etude pathologie cardiovasculaire
  • Etude sémiologie échocardiographie

6/ Concernant la formation pratique, la mise en œuvre reste complexe. Elle se déroule en quatre temps :

  • L’observation. Cette 1ère étape consiste à observer le cardiologue dans la réalisation de l’examen. Etablir un plan standard, installation du patient, visualisation et repérage des coupes à acquérir et positionnement de la sonde.
  • La manipulation : dans ce 2ème temps, l’infirmier prend la sonde idéalement assisté par le cardiologue. C’est la phase de familiarisation avec la sonde et l’acquisition des coupes.
  • La réalisation : à ce stade, l’infirmier réalise seul l’examen. Il est capable de faire un examen standard avec les coupes de base. Le cardiologue vient ensuite pour corriger, mesurer les paramètres et compléter l’examen.
  • Le perfectionnement : phase après obtention du DU où l’infirmier continue son perfectionnement vers une autonomie et la création des plages de vacations bien définies - Il est important également d’inclure à la formation pratique l’interprétation des boucles et de l’examen complet afin de savoir établir le compte-rendu de l’examen du patient.

Atteindre le niveau perfectionnement permet d’envisager la création d’un poste spécifique.

7/ Bilan annuel envoyé à l’ARS Un répertoire contraignant mais obligatoire est tenu à jour, permettant de tracer certaines informations en lien avec l'examen réalisé par l’infirmière (durée, vérifications, pathologies, etc..), ce fichier est envoyé tous les ans à l'ARS.

 

En pratique : laboratoire d’échographie de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière (Paris) 

 

Le département d'échographie cardiaque de la Pitié Salpêtrière s’est engagé dans cette démarche depuis 2014 et a demandé l’adhésion au protocole de coopération auprès de l’ARS d’Ile de France en se basant sur le protocole existant à Strasbourg.

Plus de 16000 échographies cardiaques sont réalisées par an au laboratoire, Ce qui représente en moyenne une soixantaine d'examens réalisés par jour. L’activité est croissante depuis 10 ans, mais on ne répond pas à la demande qui est exponentielle, comme mentionné précédemment.

Le laboratoire comprend sept box d’échocardiographies : 5 boxes d’échographies transthoraciques, un box pour les échographies transoesophagiennes et un box pour les échographies de stress. L’équipe paramédicale se compose de cinq infirmières et trois aides-soignantes.

Sur les cinq infirmières, deux sont actuellement formées à l'échographie cardiaque dans le cadre d'un protocole de coopération.

L’équipe médicale est composés de médecins temps pleins qui ont aussi des charges cliniques au sein du département et de médecins vacataires.

Le temps consacré au protocole de coopération se décompose en deux journées complètes par infirmière soit 4 vacations par infirmière, Les infirmières réalisent des échographies transthoraciques et font en moyenne 130 examens par mois.

Une sélection de patients s'organise au moment de la prise de rendez-vous pour éviter les échographies complexes.

Néanmoins le bon déroulement du protocole de coopération est souvent tributaire du bon fonctionnement du laboratoire d'échographies.

En effet il est toujours difficile d’extraire les deux IDE du planning pendant les périodes de congés annuels, les absences et les nécessités de service. Ce problème s'est accentué avec la crise du Covid et le manque de personnel qui en a découlé.

A cela s'ajoute un problème de disponibilité des salles d’examens, car le laboratoire d’échographie est un centre de référence et de formation universitaire. Les médecins référents forment également d’autres personnels médicaux (internes) qui sont souvent prioritaires sur les infirmières.

Se pose également les difficultés liées à la disponibilité des médecins référents inclus dans le protocole qui ne sont pas toujours présents (au bloc, en staff, en hospitalisation, en consultation, en congrès …).

Il est à noter qu'il y a également une perte de temps pour les infirmières qui doivent faire patienter le malade dans la salle d’examen en attendant que le médecin se libère pour valider l’examen.

Malgré une mise en place laborieuse et une évolution fluctuante l'intérêt des infirmières est bien réel. Il s'agit du développement de nouvelles compétences, d'une valorisation de l’expertise infirmière et d'une reconnaissance professionnelle, minime soit-elle, avec notamment depuis octobre 2019 l’attribution d’une prime d’un montant de 100 euros brut/mois. 

Devant ces nouvelles pratiques, l’'approche du patient est également différente. Une enquête réalisée fin avril 2013 par Harris Interactive sur " La confiance des français dans les acteurs de la société " montre que : les français ont plus de confiance dans les infirmiers (91%). Les Français sont majoritairement prêts accepter la prise en charge par un professionnel de santé autre qu’un médecin pour certains actes médicaux. C’est surtout le cas pour eux-mêmes, plus que pour leurs enfants. Les jeunes sont encore plus prêts que leurs ainés (77% des moins de 35 ans et 69% des plus de 35 ans se disent prêts). Les personnes ouvertes au transfert de compétences l’expliquent de plusieurs manières : ils font confiance aux professionnels de santé auxquels ils reconnaissant une solide expérience (67%) et une formation sérieuse (54%), ils perçoivent des avantages «pratiques» à la situation: cela raccourcirait les délais d’attente (61%) et serait une solution pour éviter la pénurie médicale (52%)

 

Conclusion et perspectives

 

Le protocole de coopération représente une véritable opportunité de valorisation du métier d'infirmier. Les raisons invitant aux transferts de compétences entre professionnels de santé sont multiples : pénuries annoncées de médecins, volonté marquée de certaines professions paramédicales d’une plus grande reconnaissance, nécessité d’améliorer la prise en charge des patients souffrants de maladies chroniques :

Au-delà d’une réponse « opportune » à la question démographique, les coopérations professionnelles pourraient être un levier pour une nouvelle organisation des soins reposant sur :

  • Des nouveaux modes d’exercice
  • Des nouvelles fonctions de coordination
  • Des nouveaux métiers intermédiaires
  • Une utilisation des nouvelles technologies
  • Une évolution des modes de rémunération

Deux études (A. PERRIER « Collaboration infirmières-médecins : un déterminant de la qualité des soins ? ») suggèrent qu’une meilleure collaboration entre médecins et infirmières peut améliorer le devenir des patients, diminuer la durée et le nombre de séjours hospitaliers, et ainsi le coût des soins.

Au-delà de ces aspects positifs, il est important de préciser que cette participation au protocole ne s’est pas faite et ne se fait pas sans périodes de découragement. Il est nécessaire de garder un investissement personnel important. Les difficultés de planning et d’organisation du service, de disponibilités des médecins, le non-respect du protocole concernant la formation continue (participation aux congrès systématique, participation aux réunions en interne, etc…) rendent le protocole de coopération décourageant.

Heureusement pour éviter tout abandon du projet, nous pouvons compter sur une forte motivation et un investissement sans relâche de certains de nos médecins ainsi que sur la bienveillance et le soutien de nos pairs.

 

Avis du Dr Pousset (responsable du laboratoire d’échocardiographie)

 

La mise en place du protocole de coopération dans le laboratoire d’échocardiographie est un vrai succès et a permis de dynamiser le laboratoire. Cependant c’est un vrai investissement pour les infirmières de coopération, avec un temps de perfectionnement assez long, qui doit être respecté, car il permet à tous d’avoir confiance dans les examens réalisés. Il est important d’organiser une coordination du travail entre l’infirmière et le médecin délégant afin d’optimiser le travail et l’efficacité. Ainsi nous répondons mieux aux demandes urgentes de l’Hôpital, en particulier pour les bilans de chimiothérapie ou les bilans préopératoires. Cependant il est important de sanctuariser ces postes, les infirmières de coopération étant trop souvent obligées de remplacer leurs collègues par manque de personnel.

 

Bibliographie :

 

https://www.cnch.fr/Media/2019/10/PROTOCOLE-DE-COOPERATION-Fils-actu.pdf

https://www.legifrance.gouv.fr/

https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2005/revue-medicale-suisse-42/collaboration-infirmieresmedecins-un-determinant-de-la-qualite-des-soins

https://harris-interactive.fr/opinion_polls/la-confiance-des-francais-dans-les-acteurs-de-la-societe/

https://www.sfcardio.fr/sites/default/files/2019-07/2019_06-AMCVP.pdf

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