L'exploration électrophysiologique

 

Dr Yamina MOUHOUB, service de rythmologie, Groupe hospitalier Paris Saint Joseph, Paris.

Février 2022

 

L’exploration électrophysiologique (EEP) est un examen à visée purement diagnostique. Elle permet l’étude de la fonction sinusale, de la conduction nodale, intrahisienne et infrahisienne.On la réalise également dans le but de diagnostiquer des tachycardies supraventriculaires (TSV) : par exemple pour faire le diagnostic différentiel entre tachycardie par réentrée intranodale (TRIN), tachycardie réciproque sur faisceau accessoire (syndrome de Wolff Parkinson White), et tachycardie atriale (TA), ou pour déclencher des tachycardies ventriculaires, par une stimulation ventriculaire programmer (SVP) dans certaines cardiopathies. L’EEP est réalisée en cas de syncope (perte de connaissance à l’emporte-pièce) et /ou malaises à répétitions (lipothymies), avec des troubles de conductions sur l’ECG de surface. On la pratique également en cas de palpitations (pour les explorations de TSVet la SVP).

Il s’agît d’un examen simple mais invasif. Il est pratiqué dans une salle de rythmologie interventionnelle dédiée, équipée d’un matériel spécifique : scopie, monitorage des constantes vitales, baie d’électrophysiologie., patch de défibrillation en place, chez un patient à jeun.

Le rythmologue introduit par la veine fémorale droite, sous anesthésie locale, une à trois sonde(s), via des désilets de 6 French.  Ces sondes permettent d’enregistrer l’activité électrique cardiaque, à l’intérieur du cœur : recueil d’EGM endocavitaires. Ces sondes peuvent être quadripolaires ou décapolaires, déflectables ou non.

Les sondes sont positionnées en des sites prédéfinis : Oreillette droite (OD) et HIS pour l’étude de la conduction, His, ventricule droit (VD) et sinus coronaire (SC) pour les explorations de tachycardies supraventriculaires, seulement VD pour la SVP.

L’enregistrement à l’état basal et/ou lors de stimulations électriques contrôlées permet de mesurer la conduction électrique de base et lors de manœuvres de stimulation.

L'analyse de ces éléments recueillis au cours de l'examen permet de proposer un traitement adapté au patient :

  • Pose d'un stimulateur cardiaque
  • Pose d’un Reveal (Holter implantable)
  • Ablation intra-cardiaque (exploration de tachycardie)
  • Mise en place d'un défibrillateur implantable (DAI)
  • Traitement médicamenteux (en cas de tachycardie)
  • Abstention thérapeutique

 

Quand réaliser une EEP 

On la réalise en cas de bilan de syncope, malaise, soit avec des anomalies de conduction A V (bloc bi ou trifasiculaire) à l’ECG de surface, soit en cas de syncope sur certaines cardiopathies (ischémique ou dysplasie arythmogène du ventricule droit (DVDA) par exemple) pour la SVP.

Dans le premier cas, on recherche des troubles de conduction de haut degré, ou une dysfonction sinusale, ou une hypersensibilité sino-carotidienne. L’autre indication est le bilan de palpitations avec TSV. Enfin la SVP peut être réalisée soit en cas de syncope, soit en cas de palpitations, notamment à l’effort, sur une cardiopathie ischémique ou dans d’autres cas, comme la DVDA, selon un protocole dédié, pour déclencher un trouble du rythme ventriculaire grave, c’est-à-dire une tachycardie ventriculaire (TV) ou une fibrillation ventriculaire (FV) qui entrerait l’implantation d’un DAI.

 

Comment réaliser une EEP

L’EEP peut se réaliser en ambulatoire, après avoir un bilan biologique de base (notamment ionogramme sanguin, NFS, hémostase). Elle se pratique dans une salle d’electrophysiologie (EP) dédiée, sur une baie d’EP avec un stimulateur externe, et une scopie permettant de visualiser les sondes. Le plus souvent, deux ponctions veineuses fémorales droites sont réalisées, avec une sonde quadripolaire sur le HIS, une autre sonde quadripolaire paroi latérale de l’OD. Les désilets sont purgés avec du sérum physiologique hépariné pour limiter les risques de survenue de phlébite et/ou embolie pulmonaire qui sont faibles.

 

Fig 1eep

Figure 1 : Image de scopie. Positionnement des sondes. Décapolaire dans le sinus coronaire, qui donne un signal AV et quadripolaire en position hissienne, pour mesurer AH, H et HV.

 

En pratique, une seule sonde est nécessaire pour une SVP, deux pour une EEP de base, la plus fréquente pour l’exploration de la conduction (A V) et du nœud sinusal, et enfin trois sondes, dont une décapolaire dans le SC pour une exploration de tachycardie supraventriculaire.

 

 EEP pour l’étude la conduction 

    1. Première étape :

Il s’agît de l’étude statique, c’est-à-dire, mesure des délais, sans stimulation.

- Mesure du AH, H et du HV.

AH : à mesurer du début du A sur l’EGM endocavitaire, jusqu’au début du H.

H : à mesurer du début à la fin du potentiel du His, sur l’EGM endocavitaire.

HV : du début du H, sur l’EGM endocavitaire au début du premier QRS de surface (à mesurer sur la page d’ECG 12D et non sur l’EGM endocavitaire, pour le début du QRS).

  • Mesures normales:

-  AH: 60-140 ms

-  H:10-25 ms,  potentiel fin et triphasique, entre A et V, avec  A et V ayant la même amplitude    

-  HV normal: < 50 ms HV pathologique si > 70 ms chez un patient symptomatique et 100 ms chez un patient asymptomatique.

-  Pièges: confondre A et H ou artéfact avec H, bien prendre le début du QRS sur ECG de surface, HV distal et proximal.

Cf Figure 2.

Fig 2 eep

Figure 2 : V1, 2 et 3 ECG de surface. HRA : signal sur l’oreillette en OD latérale haute, signal A (atrial). CS : SC, signal A pour l’oreillette et V pour le ventricule. HBE : signal sur le His : A et V équilibrés et His au milieu (H).

 

    1. Deuxième étape :

Il s’agît de l’étape dynamique, c’est à dire en stimulation de l’OD. On recherche le point de Luciani Wenckebach antérograde (LWA), point de perte de la conduction A V 1/1. En effet, une des propriétés du NAV est la fatigabilité, entrainant une conduction de plus en plus longue, lors d’une stimulation décrémentielle, c’est-à-dire en raccourcissant le délai de stimulation de 10 ms en 10 ms. On part en générale d’une stimulation à 600 ms de cycle (100/Min) et on diminue de 10 ms en 10 ms, c’est à dire 590 ms, 580 ms, etc… On retrouve, le spike de stimulation, l‘oreillette, le His puis le V, avec physiologiquement, un allongement du AH, suivi du HV, jusqu’à ce que le NAV ne puisse plus conduire en 1 pour 1, et que l‘on retrouve : le spike de stimulation, l’oreillette et l’absence de H et donc de V. Si la conduction est bloquée au-dessus du His, on a atteint le point de LWA, avec un bloc nodal, physiologique et bénin. En effet, on bloque au-dessus du H, après l’oreillette et avant le His. C’est un bloc supra hissien (cf figure 3). Si le bloc de conduction se situe après le H, il s’agit d’un bloc infra hissien. C’est un bloc tronculaire, ou bloc de haut degré, entrainant l’indication d’un PM (cf figure 4).

Fig 3 eep

Figure 3. LWA. Après les 3 premiers spikes de stimulation, on retrouve une OD, puis un His puis un V. Après le 4eme spike, l’oreillette n’est pas suivie d’un His, ni d’un ventricule. Il s’agit, d’un bloc nodal, supra hissien, physiologique.

 

Fig 4eep

Figure 4. BAV 2 sur 1, infra hissien. On voit sur le 1ere cycle : le spike de stimulation (S), l’oreillette (A), le His (H), suivi du ventricule (V). Sur le 2eme cycle, on voit le S de la stimulation, un peu rapproché (stimulation décrémentielle), le A (oreillette), le H (HIS) puis pas de ventricule. Le bloc de conduction se fait donc après le His, il s’agit donc d’un bloc infra hissien, ou tronculaire, de haut degré, qui indique l’implantation d’un PM. Source : Electrophysiologic testing. Auteur : Richard N. FOGOROS, page 91.

 

  1. 3. Etude de la fonction sinusale :

Il existe de nombreux tests existants pour étudier la fonction sinusal (Narula, Strauss, Mandel), ce qui témoigne de leur imperfection. Le Holter ECG est le meilleur examen pour étudier la fonction sinusale, avec une meilleure sensibilité.

On continue tout de même à réaliser le test de Mandel lors de l’EEP.

On étudie pour cela le temps de récupération sinusal corrigé (TRSC: temps de récupération sinusale corrigé par la soustraction du cycle de base, qu’on aura mesuré au préalable entre deux oreillettes).

Il est pathologique s’il est > 550 ms.

Pour ce faire, après avoir mesuré le cycle de base entre deux oreillettes, on stimule l’oreillette à plusieurs fréquences cardiaques (90/min, 110/min, 150/min) pendant 30 secondes à chaque fois, puis on mesure le cycle de retour: tps entre la dernière oreillette (A) stimulée et première oreillette (A) spontanée, corrigé par le cycle de base, que l’on soustrait. On obtient ainsi le TRSC, cf figure 5.

Fig 5 1eepFig 5 2 eep

Figure 5 : Cycle de base: 573 ms TRSC 100 :  245 ms (en haut). TRSC 120: 121 ms (en bas)à donc TRSC normal

 

  4. Massage sino carotidien :

Il sera bilatéral, et a pour but de tester une hyper sensibilité sino-carotidienne. Il faudra s’assurer au préalable de l’absence de plaques d’athérome des carotides, qui pourraient se rompre pendant le MSC. Leur présence contre-indique le geste.

Il est positif s’il reproduit les symptômes et/ou qu’il entraine une pause > 6 secondes, indiquant l’implantation d’un PM.

 

EEP de TSV 

On positionnera trois sondes : une quadripolaire sur le His, une autre dans le VD pour étudier la conduction rétrograde et une décapolaire dans le SC pour étudier la conduction antérograde, mais également la conduction rétrograde.

  • EEP de base :

On commence l’exploration de base, comme présentée précédemment, avec mesures statiques et dynamiques : AH, H, HV, LWA.

On mesure par la suite, toujours en antérograde, c’est-à-dire de l’oreillette vers le ventricule, la période réfractaire du NAV. En pratique, on stimule avec un cycle de base, souvent 600 ms (100/min) puis on rajoute une extrasystole atriale, qu’on rapproche de 10 ms en 10 ms. Selon le même principe de fatigabilité du NAV expliqué plus haut, plus on rapproche l’extrasystole, plus elle sera conduite lentement de l’oreillette au ventricule par le NAV, jusqu’à ce qu’elle ne passe plus, c’est la période réfractaire du NAV. Elle est décrementielle, c’est-à-dire qu’elle s’allonge progressivement, jusqu’à bloquer, quand on atteint cette période réfractaire antérograde.

Tachycardie par réentrée intra nodale (TRIN) :

Il y a une dualité intranodale. Pour simplifier, il existe deux voies de conduction, la voie habituelle, la voie rapide, qui a une période réfractaire courte, donc se bloque assez rapidement, et la voie lente, qui elle conduit lentement, mais a une période réfractaire plus longue, donc se bloque plus tard que la voie rapide.

Pour la mettre en évidence, on recherche donc la PRE antérograde du NAV, en rapprochant l’extrasystole de 10 ms à chaque fois et on mesure l’allongement de l’espace AH. S’il s’allonge de plus de 50 ms entre 2 extrasystoles rapprochée de 10 ms, il s’agit d’un saut de conduction, qui signe la présence de la dualité intra nodale. Au moment du saut, on est bloqué dans la voie rapide, on a donc atteint sa période réfractaire et on continue sur la voie lente sur laquelle on a sauté.

La conduction rétrograde s’étudie de la même manière, c’est-à-dire que l’on stimule par la sonde ventriculaire et on mesure la remontée du V vers le A.

On fait d’abord le point de Wenckebach rétrograde (LWR), puis la période réfractaire rétrograde avec un train de stimulation et une extrasystole ventriculaire qu’on rapproche de 10 ms en 10 ms pour rechercher un saut de conduction rétrograde, qui signe également la dualité intranodale, s’il existe, et qui permet de mesurer la PRE rétrograde du NAV, etle cas échéant de la voie lente.

On peut réaliser cette exploration de base et sous Isuprel.

On peut retrouver un saut de conduction seul, ou accompagné d’un écho : c’est-à-dire une descente par la voie lente après que l’influx ait sauté de la voie rapide à la voie lente, donc un AH long, suivi d’un HV normal, puis une remontée très courte et concentrique (remontée par le sc du proximal, le 9-10, vers le distale, le 1-2), donc un VA très court.

Il faut essayer d’avoir un bon protocole de déclenchement du saut-écho-tachycardie, qui soit reproductible et qui sera le critère de vérification du succès, lors de la procédure d’ablation.

On peut également réaliser la manœuvre d’entrainement ventriculaire :

Elle consiste, lors d’une TSV à stimuler en rétrograde, par le ventricule, à un cycle 20 ou 30 ms plus court que la tachycardie, pour la capturer, pendant quelques cycles et s’arrêter, idéalement sans arrêter la tachycardie.

Si la tachycardie n’est pas arrêtée et qu’elle continue avec une reprise post stimulation de type : VAAV. Il s’agit d’une tachycardie atriale.

Si la tachycardie n’est pas arrêtée et qu’elle continue avec une reprise post stimulation de type : VAV, il s’agit d’une tachycardie jonctionnelle, et on élimine une TA.

 

Etude des tachycardie réciproque (sur Kent) :

Le Kent, se défini à l’ECG de surface par une pré excitation, PR court (< 120 ms), empâtement du QRS, qui est plus ou moins large selon le degré de fusion. Le PR et le QRS de base peuvent être normaux en cas de Kent caché qui ne conduit jamais en antérograde, mais juste en rétrograde.

Le Kent caché, ne conduisant jamais en antérograde, il ne pourra jamais conduire une fibrillation atriale (FA) rapidement aux ventricules, et n’entrainera pas de risque de mort subite.

La présence d’un Kent à l’ECG de surface, signe un Kent perméable en antérograde et doit donc être explorée, pour étudier et sa localisation et son caractère bénin ou malin, c’est-à-dire définir s’il est très performant et capable de conduite rapidement une FA aux ventricules et entrainer une FV donc une mort subite. L’enjeu de l’EEP est très important.

L’EEP se déroule exactement comme pour la TRIN.

Le caractère décrementielle, de la conduction du NAV en antérograde et rétrograde permet d’éliminer une voie accessoire standard, type faisceau de Kent qui ne conduit pas, dans la grande majorité des cas de manière décrémentielle, mais en conduction tout ou rien. Ainsi en cas de Kent, le rapprochement de l’extrasystole, en antérograde et rétrograde, de 10 ms en 10 ms, ne conduit pas à l’allongement du AH, et la période réfractaire du Kent bloque de manière brutale.

L’activation rétrograde (VA) du sc lors de la stimulation rétrograde, par le VD, est dite concentrique si le Kent est droit (conduction habituelle du sc proximale 9-10 vers le distal 1-2). Elle sera excentrique, et signera la présence d’un Kent gauche, si le premier sc activé en stimulation rétrograde, n’est pas le sc proximal (le 9-10), avec un Kent très latéral si le sc 1-2 est activé en premier, et postéro septal si c’est le SC 5-6 ou 7-8  qui sont activés en premier par exemple.

On peut ainsi localiser le Kent. Le Kent peut être gauche (sur l’anneau mitral), droit (sur l’anneau tricuspide), voire mid-septal ou para hissien (risque de BAV complet pendant l’ablation).

On peut et on doit, définir sa période réfractaire. Une période réfractaire antérograde du Kent < ou égale à 250ms, de même qu’un R-R (distance la plus courte entre 2 QRS en FA) < ou égal à 250 ms, de base et sous Isuprel, signent un Kent très performant, donc malin et pouvant entrainer une FV sur une FA conduite rapidement des oreillettes vers les ventricules. Cela pose l’indication de l’ablation.

 

SVP

Une seule sonde suffit pour la SVP. Celle-ci sera positionner dans le VD. Il faut avoir branché le patient au défibrillateur externe avant le début de la stimulation.

De manière générale, on réalise la SVP, en deux sites (apex et infundibulum), 2 cycles de simulation de base (600 puis 400 ms).

Le train de stimulation de base est intitulé S1, on stimule donc par ce train (5 à 8 stimulations) puis on rajoute une extrasystole qui est donc nommée S2, qu’on rapproche de 10 ms, en 10 ms, jusqu’à ce qu’elle bloque. Selon l’indication, on peut rajouter une 2eme extrasystole, nommée S3, voire une 3ème, nommée S4 (protocole un peu plus agressif).

On réalise donc ce protocole de base puis sous Isuprel.

Les protocoles de stimulation peuvent varier d’un centre à l’autre.

Les extrasystoles ne doivent jamais descendre en dessous de 200 ms, pour éviter d’être trop agressifs. En effet, dans cette situation, le déclenchement d’un trouble du rythme grave, serait difficile à interpréter.

Le but étant de déclencher, ou pas, une TV ou FV, sans ou avec traitement anti arythmique (dans le cas où l’on souhaite tester l’efficacité de ce dernier), ou pour indiquer l’implantation d’un DAI.

L’indication a longtemps été controversée dans le Brugada, elle n’est actuellement plus indiquée, et si elle est réalisée, il est recommandé de ne pas être agressif, donc ne pas faire plus que 2 extra-systoles.

 

Conclusion

L’EEP est un examen à visée diagnostique, ambulatoire, invasive, mais avec des risques extrêmement faibles. Elle est principalement indiquée dans le bilan de syncope/malaise, principalement avec un ECG de surface présentant des troubles modérés de la conduction A V. Le but est de rechercher des troubles de conduction de haut degré A V, afin de poser ou non l’indication d’un PM/Reveal. Elle est moins sensible que le Holter pour l’étude de la fonction sinusale.

On peut réaliser une EEP pour le diagnostic différenciel de TSV : TRIN, Kent, voire TA.
Enfin dans certaines cardiopathies, la SVP peut aider à l’orientation thérapeutique (efficacité d’un traitement anti arythmique, indication d’implanter un DAI).

 

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